Vivre et penser le féminisme selon la vision autochtone

Les Femmes autochtones se sont rassemblées pour discuter de ce que le féminisme signifie pour elles, explorer le point de vue des Peuples autochtones sur la question, et se penser aux contributions qu’elles peuvent y apporter depuis leur vision du monde.

 Grecia Mariel Gutiérrez Lara 

 

Que signifie le féminisme pour les Femmes autochtones? Comment surmonter les mésententes et enrichir les rencontres entre les mouvements de Femmes autochtones et les mouvements féministes? Quels sont les principaux obstacles à la reconnaissance des identités de genre dans le mouvement des Femmes autochtones? Voilà quelques-unes des questions lancées pour amorcer le dialogue et la réflexion entre Femmes autochtones de divers Peuples autochtones du monde entier lors de la rencontre en ligne intitulée « Femmes autochtones, féminismes et identités », dans le cadre de la troisième journée de la deuxième Conférence mondiale des Femmes autochtones.

 

À l’occasion de cette séance d’une heure et demie, des dizaines de Femmes autochtones se sont réunies pour se questionner, réfléchir et repenser le féminisme, un mot qui provoque encore des réticences dans certains secteurs du mouvement des Femmes autochtones. Norma Don Juan, militante nahua et membre de la Coordination nationale des Femmes autochtones (CONAMI), basée au Mexique, a présenté ainsi la discussion : « Au fil de mon cheminement et dans le contexte de mon travail avec mes consœurs entourant nos droits, mes droits, je n’avais pas entendu parler des féminismes, jusqu’à ce qu’une bonne amie me dise : “Tu es une féministe, parce que tu défends les droits des femmes. Cela fait de toi une féministe”. »

 

Bien que Norma Don Juan ait du mal à s’assumer comme féministe, elle reconnaît la valeur de tout le travail, de la lutte et des contributions solidaires du mouvement féministe pour l’avancement des droits des femmes. Elle insiste sur la diversité des féminismes pour souligner que les Femmes autochtones devraient aller à la rencontre d’autres partenaires dans le respect, tout en remettant en cause les dynamiques de pouvoir en place. « Nous ne disons pas non au féminisme, mais nous pouvons le repenser, l’adapter à notre contexte pour le construire à notre façon », a déclaré Mme Don Juan. 

 

Sandra Luz Villalobo, Femme autochtone zapoteca, s’est quant à elle prestement qualifiée de féministe, car « les femmes féministes sont celles qui se battent pour les droits des autres, de leurs filles et de leurs petites-filles ». 

 

Traditionnellement, le féminisme a été conceptualisé à partir d’une approche occidentale qui n’interpelle pas bon nombre de Femmes autochtones. « Je ne me sens pas identifiée. Le féminisme est né des femmes occidentales. Mes camarades et moi ne sentons pas qu’elles parlent de nous. En milieu rural, il est assez délicat de se dire féministe. Il faut peut-être chercher des alternatives, un autre mot pour nous identifier, pour nous affirmer comme Femmes autochtones qui se sont souvent battues, comme nos grands-mères, côte à côte avec les hommes », a déclaré Viviana Tambaco, femme quichua d’Équateur.

 

Un féminisme à part?

 

« Il convient de se demander ce qu’on entend exactement par féminisme, et commencer à prendre note de nos réponses; nous devons bâtir une théorie pertinente pour nos peuples, car chaque peuple a sa propre manière de penser, de vivre et de voir le monde. Notre défi consiste à construire une théorie basée sur la façon dont nous renforçons notre pouvoir. Nous voyons certes le féminisme comme une proposition politique qui cherche à revendiquer nos droits, mais en tant que femmes mayas, nous avons également à revendiquer notre identité », a déclaré Cleotilde Vásquez, femme maya mam du Guatemala. 

 

« Je pense que beaucoup de femmes ont encore peur, que nous avons peur de dire que nous sommes féministes, car les médias nous vendent parfois leur propre idée de féminisme et radicalisme. Je me considère comme féministe parce que le féminisme est collectif. C’est la conscience de nos ancêtres, de toute notre histoire à travers le temps, et c’est aussi une forme de guérison », a énoncé Zaira Italia García.

 

Tandis que selon certaines participantes, le féminisme est ancré dans une perspective individualiste qui s’oppose à la dualité de la vision du monde autochtone, d’autres croient que le fait d’idéaliser les relations hommes-femmes de la cosmogonie des Peuples autochtones représente une erreur qui opaque tout le travail mené par les Femmes autochtones pour défendre leurs droits. 

 

La romantisation des cultures autochtones sans analyse historique peut porter à croire que les Peuples vivent en parfaite harmonie avec leur communauté et leur territoire, souligne Guadalupe Martínez, femme nahua, qui assure que le machisme et le patriarcat sont bien présents dans les cultures et légendes autochtones, même depuis avant la colonisation : « Dans nos propres histoires, comme celle de Coatlicue, qui est tombée enceinte, et des 400 centzons, les étoiles de l’époque, qui l’ont assassinée parce qu’il était mal qu’elle soit enceinte. L’idée de la subjugation des femmes fait partie de nos propres légendes. L’histoire nous force à le reconnaître. »

 

Martínez a également souligné que, grâce au mouvement féministe, plusieurs droits ont été gagnés conjointement. « Lorsque nous parlons des droits de la personne, nous parlons aussi de l’Occident », a-t-elle soutenu, se disant partisane d’utiliser la perspective autochtone et décoloniale pour enrichir le féminisme. « Quel est le sens du tequio [travail communautaire] que nous effectuons en tant que femmes? Quel est le sens du troc que nous effectuons en tant que femmes? Quelle serait la catégorie particulière pour représenter notre position et notre situation en tant que Femmes autochtones, dans nos contextes communautaires ou culturels? Quelle serait la réflexion à faire pour démanteler cette colonisation qui nous fait parler ici en espagnol ou en anglais? », a-t-elle ajouté. 

 

Diversité sexuelle et de genre

 

D’après la militante LGTBI Ángelica Telles, il y a autant de féminismes qu’il y a de femmes. « Personne ne peut t’imposer sa vision. Ne pas s’identifier au féminisme est une position valable, chacune peut se percevoir comme elle veut. Nous ne luttons pas pour déterminer si quelqu’un est une féministe radicale, libérale, ou autre, l’important est d’être solidaires les uns avec les autres », a-t-elle déclaré depuis le Mexique. 

 

Pour Angelica, le fait de se déclarer femme, autochtone, féministe ou lesbienne ne devrait conduire à aucun type d’agression ou d’exclusion. Elle est toutefois consciente que, dans ce contexte violent, être une Femme autochtone et s’assumer comme telle constitue une position politique. 

 

La diversité sexuelle est une réalité qui a été difficile à discuter pour les Peuples autochtones, et il a été difficile pour les Femmes autochtones lesbiennes de s’identifier comme telles en public. Des États-Unis, Lisa Colón, une personne autochtone non binaire, a souligné que « la question de l’identité de genre doit être incluse dans le mouvement des Femmes autochtones ». Colón a également appelé à questionner ce qu’est une femme. « Il y a différentes manières d’être femme. Cette identité non binaire est une identité qui me permet d’être qui je suis, de penser d’une autre manière tout ce qui peut être. »

 

En dehors des communautés, les gouvernements ne sont pas non plus d’un grand soutien envers les diversités. Ce rejet se reflète par l’absence de politiques publiques et le manque de budget pour la reconnaissance de la diversité des Femmes autochtones.

 

Différentes visions du féminisme ont été partagées au long de la séance, un exercice fondamental pour la déconstruction et l’appropriation du concept. À travers ce dialogue, les participantes ont eu l’occasion de remettre en question les différentes théories et de resignifier le féminisme dans le contexte de la cosmogonie des Femmes autochtones. Avec leurs propres mots, et avec un profond respect, elles ont reconnu les efforts des femmes qui nous ont précédées et qui se sont battues pour qu’aujourd’hui nous puissions jouir librement de nos droits les plus fondamentaux.