Les Femmes autochtones exigent l’éradication de toutes les formes de violences contre elles et leurs peuples

Voilà le message lancé lors de l’inauguration de la 2e Conférence mondiale des Femmes autochtones, un sommet réunissant 500 femmes leaders du monde entier pour discuter, jusqu’au 2 septembre, de manières de relever leurs défis communs et d’influencer les politiques publiques internationales.

Guadalupe Ríos, Anita Gurung, Mariana Chávez, Yalina Ruíz.

Le jeudi 12 août, alors que le chant des oiseaux avait déjà annoncé l’aube en Amérique et que les médias relataient que le gouvernement afghan tentait toujours de négocier avec les talibans, des femmes autochtones de tous les continents se sont réunies virtuellement pour inaugurer la deuxième Conférence mondiale des Femmes autochtones, le plus important sommet sur les droits et revendications des femmes qui font partie des Peuples autochtones de la planète. 

Quelques minutes après 7 heures du matin au Guatemala, Isabel Cipriano, autochtone maya du Forum international des Femmes autochtones, une organisation-cadre d’organisations de Femmes autochtones d’Asie, d’Afrique, du Pacifique, de l’Arctique et des Amériques, a marqué le début de la rencontre en lançant un appel aux énergies de la vie et des ancêtres, pour que « leur lumière puisse guider le cheminement de la conférence ». Une conférence qui aurait voulu être célébrée en personne, mais qui, ancrée dans la vision autochtone, a su s’adapter à la pandémie et se tient en mode virtuel.

Ainsi, depuis Capulalpam, dans l’état de Oaxaca, une douzaine de membres de l’Alliance des Femmes autochtones d’Amérique centrale et du Mexique (Alianza de Mujeres Indígenas de Centroamérica y México – AMICAM), vêtues de leurs jupes et huipils, ont formé un cercle autour d’offrandes de fleurs, de nourriture et de copal. Guidées par l’une d’elles, elles se sont déplacées en direction des quatre points cardinaux pour demander au Soleil et aux ancêtres leurs bénédictions pour toutes les Femmes autochtones et pour le succès de cette Deuxième Conférence mondiale des Femmes autochtones.

Depuis la Tanzanie, une cinquantaine de femmes de l’Organisation africaine des Femmes autochtones (OAFA) en costumes traditionnels colorés ont entonné un chant rythmé pour toutes leurs sœurs du monde entier.

Rosalina Tuyuc Velásquez, militante maya guatémaltèque, a prononcé quelques mots pour convoquer l’énergie de la résistance des grands-mères autochtones pour guider les réflexions et analyses des prochaines séances.

Treize heures plus tard, la conférence a été inaugurée à nouveau, cette fois avec la participation des femmes d’Asie et du Pacifique, qui ont également commencé avec une puissante cérémonie d’ouverture spirituelle récitée par deux dirigeantes autochtones dans leur propre langue : Weya Tahori de l’Alliance nationale des femmes aborigènes et insulaires du détroit de Torres (National Aboriginal and Torres Strait Islander Womens Alliance – NATSIWA) et Tomomi Ganeko de l’Association des Peuples autochtones des Ryukyus (AIPR). Weya a récité la prière des Peuples autochtones maoris intitulée « Retour d’Hawaï en canoë », qui traite du lien spirituel unissant les Peuples autochtones de toutes les nations du Pacifique. Tomomi a quant à elle entonné la prière « Fleurs de baume dans le jardin », qui fait référence à la spiritualité du Conseil des Pères, comme elles appellent leurs ancêtres. La modalité en ligne n’a rien enlevé à la magnificence de la cérémonie.

La Deuxième Conférence mondiale des Femmes autochtones a été organisée dans le contexte du 25e anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, qui a marqué un tournant pour la promotion des droits de la personne pour les femmes et les filles du monde entier. Vingt-cinq ans après ce Programme d’action de Beijing, les Femmes autochtones continuent de voir beaucoup de leurs droits niés. C’est ainsi qu’elles ont organisé cette Deuxième Conférence mondiale des Femmes autochtones, qui a été inaugurée le jeudi 12 août et continuera les jeudis 19 août, 26 août et 2 septembre sur deux créneaux horaires, une le matin pour la région des Amériques-Caraïbes et l’autre le matin pour l’Asie, l’Arctique et le Pacifique.

« Nous célébrons cette Deuxième Conférence mondiale des Femmes autochtones les yeux tournés vers l’avenir, déterminées à nous battre pour la vie dans toute sa diversité aux niveaux individuel et collectif, pour les Peuples et les Femmes autochtones, mais aussi pour tous les êtres vivants qui nous entourent et pour Mère-Nature. En tant que Femmes autochtones, nous avons été rendues invisibles, mais nous avons la capacité d’alimenter des processus régionaux et de partager nos programmes, expériences et préoccupations en plus d’offrir des pistes de solution » a déclaré Tarcila Rivera Zea, présidente du FIMI.

Coiffée du chapeau noir caractéristique des femmes quechua et accompagnée en arrière-plan de la lumière d’une bougie blanche, la militante a présenté un tour d’horizon de la lutte menée par plusieurs générations de Femmes autochtones auprès des institutions internationales depuis que l’ONU a tenu à Mexico en 1975 la première Conférence mondiale sur les femmes, où une seule Femme autochtone avait pris la parole.

« Nous constatons aujourd’hui avec grande satisfaction que malgré les barrières, la technologie peut nous être utile pour coordonner nos effets et bâtir des propositions avec plus de clarté (21:28). [...] Je suis heureuse de partager avec vous cet espace, où nous serons toujours unies par la même pensée, le même sentiment, vers une mission commune : éradiquer toutes les formes de violences et d’exclusions dans le monde pour nos Peuples, pour nos vies et celles des générations à venir. »

Tarcila Rivera Zea

Depuis les Philippines, Victoria Tauli-Corpuz, leader autochtone du peuple Kankana-ey Igorot et rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2014 à 2020, a également retracé le long chemin parcouru depuis les conférences internationales de Femmes autochtones des années 80 et 90, qui ont façonné le mouvement des Femmes autochtones et mené à l’organisation de la première Conférence mondiale en 2013 à Lima, au Pérou, puis à celle-ci aujourd’hui. 

Mme Tauli-Corpuz a souligné que c’est grâce à leurs efforts collectifs que les Femmes autochtones ont gagné en visibilité, soulignant également le travail important mené par l’hôte de la conférence, le Forum international des Femmes autochtones, tant pour organiser le sommet que pour la préparation de rapports et pour son travail d’incidence auprès des institutions internationales pour influencer les politiques publiques et faire respecter les droits des Femmes autochtones.

À travers le monde, 6 % des personnes sont autochtones, mais celles-ci comptent pour 15 % des plus pauvres de la planète, selon les données de 2020 de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones. La pandémie les a maintenant particulièrement frappées, aggravant les conditions de pauvreté et d’inégalité auxquelles font face les 238,4 millions de Femmes autochtones qui habitent la planète. 

Mme Tauli-Corpuz a souligné que la COVID-19 avait exacerbé les violences à l’égard des femmes, et que l’enjeu des violences contre les Femmes autochtones devait être abordé de manière urgente lors de la Conférence afin de mieux attirer l’attention des espaces de pouvoir politique et de prise de décision.

Sara Sibar, de l’Alianza de Mujeres Indígenas de Centroamérica y México, l’a expliqué ainsi en espagnol :

« Avec la distanciation physique imposée par la pandémie, nous nous retrouvons aujourd’hui dans des contextes encore plus défavorables. Mais je crois que le fait d’être toutes rassemblées ici, chacune depuis son territoire, nous permet d’élever nos voix et de nous renforcer et organiser en réseaux de Femmes autochtones pour pouvoir mieux influencer les politiques publiques. De plus, il s’agit d’un espace propice pour revitaliser nos mouvements et bâtir un programme international à présenter aux différents gouvernements nationaux, en espérant qu’il aura pour nos vies un impact positif sur les plans économique, politique, social et linguistique. »

Sara Sibar

Les majeures réserves de biodiversité et de ressources naturelles de la planète se trouvent en territoires autochtones, mais c’est paradoxalement là où la pauvreté règne le plus librement, la dépossession des terres servant comme principal moteur de migrations forcées et de la dissolution des liens communautaires. Mais c’est aussi à partir de leurs territoires que les Femmes autochtones trouvent des solutions pour transformer leur réalité, et cette conférence leur permettra de parler des enjeux qui les touchent et de présenter leurs propositions. 

Pragya Ray, du Pacte des peuples autochtones d’Asie (Asia Indigenous Peoples Pact – AIPP), a parlé de l’importance d’apprendre des expériences d’autres camarades pour faire face aux violences. Elle a par ailleurs souligné que les violences contre les Femmes autochtones, la persécution des personnes qui défendent les droits de la personne, l’appropriation des terres sous la couverture de la COVID-19, et la réduction de l’espace public pour les Femmes autochtones vont de pire en pire en Asie.

Sur ce point, depuis l’Australie, Sandra Creamer, autochtone waany et directrice générale de la National Aboriginal and Torres Strait Islander Womens Alliance (NATSIWA), a ajouté : 

« Aujourd’hui, nous savons que nous vivons un changement différent dans le monde. Nous ne pouvons pas voyager, nous ne pouvons pas nous voir en personne, mais cette conférence organisée par le FIMI nous permet néanmoins de nous rassembler et de faire entendre nos voix ensemble en tant que collectif. Nous continuerons à trouver des moyens d’élever nos voix et de faire en sorte que les enjeux qui nous touchent continuent à être mis sur la table. Même si nous ne sommes pas dans la même salle de réunion, nous continuerons toujours à nous rendre visibles. C’est pourquoi cette Conférence mondiale des Femmes autochtones est si importante, parce que nous nous tenons ensemble et nous continuerons en tant que Femmes autochtones à réparer les torts qui doivent être réparés. Lors de notre conférence [régionale], nous avons discuté des violences contre les femmes et les enfants, de la sécurité alimentaire, des changements climatiques et des enjeux relatifs à l’eau. Et je sais que beaucoup de ces problèmes touchent également nos sœurs du monde entier. En tant que Peuples et Femmes autochtones, nous sommes résilientes; nous resterons fortes, nous resterons unies. »

Sandra Creamer

La Conférence offre la possibilité d’articuler des actions du niveau local à l’international, et vice-versa. De longues heures de travail et de collaboration en réunions préparatoires par région – Asie, Pacifique, Afrique, Europe et Amériques – ont été nécessaires pour organiser ce sommet, culminant aujourd’hui sous la forme de cette rencontre mondiale virtuelle entre 500 dirigeantes autochtones.

Au fil des prochains jeudis, jusqu’au 2 septembre, elles aborderont à partir de leur propre point de vue les enjeux relatifs à la discrimination, la violation de leurs droits, la violence patriarcale et structurelle, la dépossession et les conflits en lien avec la terre et les ressources naturelles, en plus des obstacles pour accéder aux espaces décisionnels en politique, renforcer la souveraineté alimentaire ou s’organiser dans le contexte de la pandémie. 

En ce sens, Cindy Kobei de l’OAFA s’est exprimée ainsi : 

« En tant que Femmes autochtones africaines, nous sommes heureuses de pouvoir nous joindre à nos sœurs pour unir nos voix en défense des droits des Femmes autochtones. Nous savons qu’il reste encore un long chemin à parcourir avant que nos droits soient pleinement respectés et reconnus, alors continuons à travailler ensemble. » (37:00-37:25)

Cindy Kobei

Gudrun Eliissá Eriksen Lindi, du Conseil Saami en Norvège, a lancé un appel à effacer les divisions et renforcer le pouvoir des femmes au-delà de toutes frontières.

« Les Femmes autochtones souhaitent que ces questions prennent plus de place à l’ordre du jour dans la région de l’Arctique. Nous voulons donner aux Femmes autochtones les moyens nécessaires pour parler de leur propre cause; faire reconnaître les territoires et les ressources des peuples autochtones et l’importance du travail des Femmes autochtones en ce qui concerne l’utilisation des terres et des ressources; souligner que les violences à l’égard des femmes sont un problème qui concerne tout le monde et qui devrait être traité à tous les niveaux de la société, dans nos propres communautés comme au sein des organisations et autorités autochtones ainsi que dans la société en général et au niveau des états nations. »

Eliissá Eritsen Lindi

Dans le premier panel, des Femmes autochtones ayant atteint les hauts échelons de la représentation politique ont partagé leurs expériences, y compris Sabina Orellana, ministre des Cultures, de la Décolonisation et de la Dépatriarcalisation de la Bolivie. 

En tant que femme politique quechua, Orellana a évoqué le défi de rompre avec la discrimination systémique qui persiste dans certains secteurs de pouvoir, malgré tous les efforts déployés dans son pays pour construire un État plurinational et inclusif. C’est ainsi qu’elle continue de travailler pour déconstruire les mentalités patriarcales et coloniales, car c’est là que réside la clé pour l’autonomisation des femmes et, « bien que nous ayons fait des progrès, le défi consiste maintenant à construire de nouvelles politiques pour les Femmes autochtones », a-t-elle déclaré.

Participant depuis la Nouvelle-Zélande, Nanaia Mahuta, femme maorie et ministre des Affaires étrangères de ce pays, a souligné que les organisations de Femmes et Peuples autochtones dans son pays ont été la clé des progrès accomplis et de leur représentation politique accrue. « Il faut beaucoup de diplomatie pour appuyer la prise de pouvoir économique et l’éducation des Femmes autochtones, mais surtout pour faire progresser nos valeurs socioculturelles, qui sont essentielles pour transformer la réalité de nos sociétés et de l’ensemble de la planète », a-t-elle déclaré.  

Au cours des prochaines journées de la conférence, on explorera également d’autres intersectionnalités, laissant place par exemple aux Femmes autochtones handicapées. La Note politique de l’ONU sur la COVID-19 confirmait en juin dernier que les personnes autochtones handicapées avaient été confrontées à de plus grandes inégalités d’accès aux soins de santé pendant la pandémie en raison d’un manque d’informations sanitaires et d’autres obstacles, y compris la discrimination dans l’accès aux centres de santé.

En Amérique latine, d’après l’Étude sur la situation des personnes handicapées autochtones publiée par l’ONU en 2016, le taux de handicap est plus élevé chez les personnes autochtones que pour le reste de la population. Il y a dans le monde quelque 54 millions de personnes handicapées autochtones. Olga Montúfar, femme nahuatl et vice-présidente du Réseau mondial des personnes handicapées autochtones, a souligné que la pandémie les avait particulièrement touchées, notamment en rendant plus difficile leur accès aux soins de santé, aux médicaments et à l’éducation. Pour remédier à cette situation, Mme Montúfar estime qu’il est primordial d’éliminer le fossé des inégalités et de créer des politiques publiques qui garantissent la pleine participation des Femmes autochtones handicapées.

Au cours des trois prochaines semaines, 500 Femmes autochtones se réuniront en plénières publiques et en séances de travail focalisées avec comme objectif de renforcer le mouvement mondial des Femmes autochtones et d’élaborer ensemble une déclaration politique et un programme politique mondial. 

Ancrées dans leurs territoires, elles sont les piliers des cultures autochtones. Et en ce mois d’août, elles tisseront ensemble une nouvelle histoire en se penchant sur les grands enjeux et défis qui se présentent à elles, pour sortir de l’ombre et prendre les rênes des processus de transformation pour la planète.

Leurs voix seront répliquées à travers leurs communautés et organisations, comme on l’entend déjà dans certains médias communautaires, de la Bolivie au Népal, en passant par les stations de radio communautaires en langue Diidxazá à Juchitán, Oaxaca.

Consultez l’horaire des prochaines rencontres ici. Les conférences d’ouverture de chaque séance pourront être vues et écoutées librement sur les pages YouTube et Facebook du FIMI. Les séances de travail sur les droits individuels et collectifs sont fermées au grand public afin d’assurer la sécurité des femmes leaders. Les conclusions émanant de ces discussions seront annoncées avec le plan d’action le 2 septembre lors de la cérémonie de clôture qui sera ouverte au public en ligne sur les mêmes canaux.