Les Femmes autochtones : penser global, agir local

Le 19 août 2021, des Femmes autochtones du monde entier se sont réunies pour discuter du rôle de leur mouvement dans le suivi et la mise en œuvre de différents instruments internationaux. Voici un compte-rendu du panel d’ouverture de la deuxième journée de la 2CMFA.

Antonia Ramírez Marcelino

« Le plus grand défi consiste à préserver tout ce qui a déjà été gagné. Bien que la pandémie nous ait empêchées de nous retrouver physiquement, nous sommes ensemble en esprit pour amplifier et diffuser ce que nous faisons. C’est là le seul moyen pour que les États, les décideurs et décideuses, comprennent que nous savons affirmer notre pouvoir, que nous avons les instruments pour le faire et que nous allons les mettre en pratique », a déclaré la militante équatorienne Miriam Masaquiza lors de la deuxième journée de la Deuxième Conférence mondiale des Femmes autochtones (2CMFA).

L’événement a vu plus de 500 femmes leaders du monde entier se réunir pour partager leur vécu et les défis auxquels elles sont confrontées, du niveau local à l’international. L’un de leurs plus ambitieux objectifs au niveau international est celui de contrôler la mise en œuvre des traités, pactes et protocoles (instruments internationaux) qui garantissent leurs droits individuels et collectifs.

La 2CMFA a été le plus important sommet des dernières années pour les droits et revendications des femmes appartenant aux Peuples autochtones. Des groupes de travail en ligne ont été formés pour que des femmes des Amériques, d’Afrique, d’Asie, de l’Arctique et du Pacifique puissent discuter et échanger entre elles sur leurs expériences en lien avec le programme mondial du mouvement des Femmes autochtones.

Mariam W. Aboubakrine, ancienne présidente de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones (UNFPII), estime qu’« il a été très difficile d’être reconnues comme femmes, mais les Femmes autochtones sont bien engagées à défendre et à promouvoir leurs droits en tant que femmes et en tant que gardiennes de nos territoires avec le suivi et la mise en œuvre des instruments internationaux ».  

Mme Aboubakrine a insisté sur le fait que le bien-être à niveau international doit prendre forme à partir des États pour arriver au niveau local. « Nous avons besoin d’allié-e-s au sein des États pour élaborer les politiques nationales dont nous avons besoin, celles qui nous permettront de faire avancer nos droits au niveau international en collaboration avec d’autres parties intéressées. Nous avons besoin de coopération et d’alliances », a-t-elle souligné. 

 

Pas de reconnaissance sans participation 

D’après Joan Carling, militante et fondatrice de l’Organisation internationale pour les droits des Peuples autochtones (IPRI), l’un des plus grands problèmes est lié à la participation limitée des Femmes autochtones sur la scène internationale. Carling a souligné qu’« il n’y a pas de programmes ou de budgets spécifiques » pour la participation et l’inclusion politiques des Femmes autochtones, qui se heurtent au contraire à de nombreux obstacles bureaucratiques et culturels, rendant d’autant plus difficile l’éradication des discriminations dont elles souffrent. 

Elle a ajouté que pour parvenir à une participation effective des Femmes autochtones aux niveaux local et national, il est nécessaire de promouvoir les ODD au sein des Peuples autochtones, et surtout auprès des femmes. « Il est fondamental de nous écouter pour réaliser l’objectif 5, “Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles”. Il reste beaucoup à faire pour l’inclusion des voix et des aspirations des Femmes autochtones. » 

Miriam Masaquiza, de l’Instance permanente sur les questions autochtones, a parlé de ses 21 années expérience au sein du système des Nations Unies. « Quand je suis arrivée, je ne savais pas comment fonctionnait l’ONU. J’ai appris grâce aux sœurs qui nous ont précédées, dont Myrna Cunningham, Tarcila Rivera, Otilia Lux, et d’autres encore. Elles ont joué un rôle clé dans l’ouverture de beaucoup de ces espaces. » 

En outre, elle a noté que les Femmes autochtones ont su mettre en place des mécanismes tels que le Forum international des Femmes autochtones (FIMI) pour se faire entendre des organisations internationales de défense des droits de la personne. « Il y a de cela des années, certaines femmes espéraient une recommandation spéciale de l’Instance permanente concernant uniquement les Femmes autochtones, mais plusieurs de nos frères disaient que le droit à la terre, au territoire et aux ressources était plus important. Il y a donc eu un certain désaccord au sein des mouvements, mais les Femmes autochtones ont utilisé leur situation pour défendre les droits des Peuples autochtones en général. Petit à petit elles ont suivi leur chemin et nous avons pu progresser. » 

 

Recommandations d’expérience

À son tour, la présidente du Fonds de développement pour les peuples autochtones d’Amérique latine et des Caraïbes (FILAC), Mirna Cunningham, a offert ses recommandations pour une stratégie de plaidoyer international plus efficace. 

Elle a d’abord reconnu que la force du mouvement à l’échelle mondiale provenait de l’organisation des Femmes autochtones au niveau local. Comme première recommandation, elle a ainsi invité les participantes à bien comprendre la nature des espaces de plaidoyer international qu’elles habitent. Par exemple, l’Instance permanente sur les questions autochtones est un espace où les Peuples autochtones peuvent présenter leurs recommandations aux États membres. Cependant, ils ne peuvent pas y présenter de plaintes pour violations des droits de la personne, ce qui peut être fait au siège de l’ONU à Genève. Cunningham a également fourni l’exemple du Fonds international de développement agricole (FIDA), qui est un espace de promotion de politiques de développement rural.  

En guise de deuxième recommandation, elle a souligné l’importance de créer des alliances avec des organisations autochtones ou des organisations non gouvernementales dotées du statut consultatif. Cela leur permet en effet de contribuer à la vision des femmes autochtones lors des processus de consultation pour les études, recommandations, projets et autres activités du Conseil économique et social des Nations Unies. 

Comme troisième recommandation, la dirigeante a encouragé les Femmes autochtones à occuper les espaces que d’autres femmes du mouvement ont déjà ouverts par le passé, et à ne pas laisser la place aux hommes ou à d’autres personnes, que ce soit par peur ou par volonté de se limiter aux travaux préparatoires. Ces espaces sont particulièrement stratégiques, car ils sont tenus de donner suite aux recommandations et aux accords convenus. D’après Mme Cunningham, c’est donc là que se joue la réussite d’un pacte. 

Pour terminer, elle a souligné que le plaidoyer devait être mené à partir d’une approche interculturelle et intersectionnelle. « Si nous, en tant que femmes, n’intégrons pas dans notre proposition les différentes formes d’oppression que nous subissons, personne d’autre ne le fera. » Elle a conclu son exposé avec l’invitation suivante : « Rappelons-nous qu’il y a trois régimes de droits de la personne qui couvrent nos demandes. En tant que femmes, en tant que femmes des Peuples autochtones, et à travers les droits collectifs. Nous provenons de différentes réalités : il y a des femmes rurales, urbaines, handicapées, des diversités sexuelles, des femmes âgées, des jeunes. Il est donc crucial d’intégrer l’approche intersectionnelle à nos propositions. Nous devons nous respecter les unes les autres et ne pas porter atteinte aux réalisations d’autres femmes. Nous devons apporter du nôtre. C’est ainsi que les connaissances traditionnelles des Peuples autochtones ont été construites, en s’appuyant sur les apprentissages et créations de chaque génération passée. C’est ainsi que nous devons mener le travail sur la scène internationale », a-t-elle conclu.  

Pour sa part, l’ambassadrice du Mexique en Équateur, Yenerit Cristina Morgan Sotomayor, a reconnu l’excellent travail des organisations de Femmes autochtones pour rendre visibles les inégalités structurelles entre les sexes depuis la Conférence de Beijing de 1995. Elle participe actuellement au Forum Génération-Égalité, une initiative d’ONU Femmes présidée par les gouvernements du Mexique et de la France. Les organisations de Femmes autochtones et d’autres agents ont convenu d’engagements et de politiques publiques financières avec les États, le secteur privé, le secteur philanthropique et la société civile. La participation des organisations de Femmes autochtones devrait être incluse dans la conception des mécanismes de suivi et de mesure de l’impact sur le terrain des activités que le gouvernement du Mexique et d’autres pays amis devront mener pour atteindre les objectifs du Forum. 

Le panel s’est conclu avec la présentation de deux outils en ligne où les Peuples autochtones peuvent se renseigner sur leurs droits : Yanapaq et le Navigateur autochtone. Nous vous invitons à les consulter!